Lymphœdème et plexite brachiale

L’histoire de ma maladie et de son évolution n’est pas uniquement médicale, elle s’est aussi nourrie des aspects professionnels et personnels de ma vie pendant 50 ans, avec une volonté de continuer à vivre en relativisant mes problèmes médicaux.

C’était au printemps 1971, j’avais 33 ans et mis au monde 4 enfants, mes journées étaient bien remplies avec mon activité de chercheur à l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale). On me diagnostique alors une grosseur au sein gauche qui, après mammographie et biopsie, se révèle être cancéreuse. Le mot cancer à l’époque était « tabou » et on refusait parfois de me serrer la main, les médecins qui me soignaient n’ont jamais prononcé ce mot terrible, on avait en ce temps-là, un discours hypocrite qui générait de l’anxiété.

Après trois mois de radiothérapie préopératoire du sein et des aires ganglionnaires autour, ainsi qu’une radiothérapie des ovaires pour arrêter définitivement les cycles menstruels, j’ai subi une chirurgie lourde (ablation du sein gauche avec curage ganglionnaire axillaire) suivie d’une nouvelle série de radiothérapie postopératoire. Aucun traitement médical ne me sera prescrit, ce n’était pas l’époque. Une mobilisation différée du bras et des massages pour maîtriser l’œdème lymphatique seront mes seuls traitements.

Bien que droitière, un petit déficit des doigts de la main gauche à cette époque m’a interpellée car je jouais du piano ; je sentais que la main gauche suivait difficilement la cadence… mes activités professionnelles et familiales ont aussi contribué à l’abandon du piano.

Les années se sont écoulées avec 2-3 épisodes inflammatoires et œdèmes lymphatiques limités du bras et de l’avant-bras maîtrisés avec des antibiotiques. Le port de vêtements à manches longues (un peu contraignant en été), en évitant les coupures-piqûres en jardinant avec le bras gauche, sera ma précaution essentielle. Fini, bien sûr, la plage et le maillot de bain, surtout à cause des commentaires des estivants. J’ai découvert les randonnées en haute montagne en été, avec sac à dos, sans problème pour mon bras gauche ; ces marches en altitude ne me posaient aucune difficulté. Professionnellement, à partir de 1987, j’ai changé d’orientation et pendant 25 ans, j’ai assuré de nombreuses missions humanitaires médicales sur les terrains avec une association internationale bien connue.

En 2008, alors âgée de 70 ans, trente-sept ans plus tard, j’ai présenté plus de difficultés avec la main gauche pour utiliser l’ordinateur ; j’ai consulté plusieurs médecins sans avoir de réponse, seulement de la compassion. On me disait qu’il s’agissait d’une séquelle de la radiothérapie et qu’il n’y avait rien à faire. Après un EMG (électromyogramme) évaluant le courant électrique des nerfs de chaque bras, une opération du canal carpien me sera proposée, l’opération du côté droit sera un franc succès mais aucun résultat à gauche.

Fin 2011, j’ai fait un malaise avec perte de connaissance (AIT ou Accident Ischémique Transitoire), aphasie avec paralysie de la langue du côté gauche de courte durée. Transportée par les pompiers à l’hôpital Bichat, des examens en urgence seront faits : IRM cérébral – bilan cardiaque. Si une hypertension modérée est retrouvée, rien à l’époque n’a retenu l’attention des médecins et donc pas de diagnostic précis. Mon bras gauche perdait de la vigueur et les douleurs étaient calmées par du paracétamol.

C’est alors que, tout à fait par hasard, on m’indique le Docteur DELANIAN à l’hôpital Saint-Louis que je consulterai en juin 2012. Un protocole thérapeutique « PENTOCLO » randomisé avec tirage au sort vient d’être pensé puis organisé par le Dr DELANIAN qui me propose d’y participer. J’ai donné mon accord rapidement car je trouvais enfin un médecin qui prenait en compte l’ensemble de mes symptômes neurologiques qui s’accentuaient ; un lymphœdème important se développait malgré le port quotidien d’un manchon de contention élastique avec des fourmillements (paresthésies) des doigts par intermittence. Une IRM du plexus brachial et différents examens confirmaient une plexite brachiale radio-induite, qui est une atteinte des nerfs liée à la dose de radiothérapie de 1971 au niveau du creux sus-claviculaire (au-dessus du sein), dégénérescence nerveuse qui a évolué lentement et progressivement par paliers.

J’ai suivi le protocole randomisé « PENTOCLO » pendant 18 mois (de juin 2012 à décembre 2013) avec une surveillance régulière, sans effet secondaire. Le protocole thérapeutique en double-aveugle comprenait Pentoxifylline, Tocophérol et Clodronate en prise journalière et j’ai appris ultérieurement que j’avais reçu le « vrai » traitement, sans pour autant en mesurer le bénéfice. J’étais stabilisée, mais n’avais pas de moyen de comparaison pour savoir si l’évolution inéluctable de la plexite était ralentie avec le traitement, chaque patient étant unique dans ses réactions face à la maladie et au traitement.

En 2014, malgré un traitement allégé maintenu, la perte de sensibilité et de motricité de la main s’est accentuée, et j’ai dû mettre mon bras en écharpe pour le soulager de son poids pendant la marche. En 2015, le lymphœdème était devenu si important avec un bras douloureux et très lourd que j’ai rejoint l’hôpital Cognacq-Jay, centre de référence du lymphoedème. Une hospitalisation de 15 jours m’a été proposée pour réduire mécaniquement le lymphœdème avec auto-bandage de nuit assorti du port d’un manchon Mobiderm. Le résultat sera utile donc satisfaisant au moins quelques temps.

Fin 2015-2016, le Dr Delanian me propose une exploration vasculaire plus poussée (Doppler – angioscanner – angio IRM) qui montre l’existence de troubles vasculaires évolutifs artériels et veineux post-radiques avec une sténose (rétrécissement) au niveau axillo-sous-claviculaire qui majorait l’œdème du bras tandis que la main devenait froide. Une phlébographie et une angioplastie suivies de la mise en place d’un stent veineux m’ont été proposées puis réalisées dans de bonnes conditions. Cependant, dans la nuit suivante, j’ai fait un bref arrêt cardio-respiratoire imposant un transfert en soins intensifs… le cœur aussi avait reçu beaucoup de rayons… Le stent sera efficace 1 mois mais va se boucher définitivement.

En 2017, je fais de nouveau un malaise cardiaque, transportée aux urgences de l’hôpital Saint-Louis, on me libère dans la soirée sans rien d’anormal en dehors d’une tension très basse transitoire. Le bilan cardiologique ultérieur va montrer enfin quelque chose… en échocardiographie, une petite masse pédiculée intra-ventriculaire gauche (comme un bâton de cloche dans le ventricule cardiaque) évoquant un myxome (tumeur bénigne) ; et je suis mise sous anticoagulant. L’IRM cardiaque à l’hôpital Saint-Joseph va confirmer le myxome intra-ventriculaire gauche avec risque emboligène, nouvelle séquelle de la radiothérapie… dite exceptionnelle…

Ainsi, en 2019, j’ai conscience que près de 50 ans après la découverte d’un cancer du sein, je suis bien là, « chanceuse », malgré la perte de l’usage de ma main et de mon poignet gauche, compensée par un bras droit assurant un double travail ! Et avec une prise en charge spécifique qui m’a permis de limiter de nombreux écueils.

Si je reste réaliste sur le plan médical, mon esprit est toujours en éveil sur le monde. Avec mes 81 ans, je garde une autonomie satisfaisante et j’ai confiance dans les progrès de la recherche clinique comme dans la recherche fondamentale pour comprendre les mécanismes de la maladie. Des budgets pourraient permettre de continuer les travaux de recherche initiés par le Dr Delanian et son équipe que je remercie pour le travail effectué et la connaissance mise au service des patients.

Le but de mon témoignage est d’aider les personnes qui, comme moi, ont été opérées pour un cancer du sein, à prendre les bonnes décisions, et à être proactives face aux soins qui leur sont proposés, en gardant toujours espoir et confiance dans la médecine qui progresse en permanence.

Mai 2019                      Marie-Claire G.